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Homéopathie

des patients plus avertis qu’on le croit

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Depuis le 1er mars 2017, les boîtes de Depakine arborent un pictogramme en forme de triangle rouge, avec le profil d’une femme enceinte. Une mesure réclamée par les patientes auxquelles ce médicament anti-épileptique a été prescrit pendant longtemps en dépit de ses dangers pour le fœtus. Avant la Depakine, il y a eu le scandale du Mediator, l’anti-diabétique responsable d’atteintes cardiaques et d’au moins 1 500 décès. À chacune de ces affaires, les messages se multiplient à destination des patients, les incitant à être prudents avec leurs médicaments.

Des personnalités du monde médical ou politique ont affirmé, au lendemain du scandale du Mediator, que cela allait enfin permettre aux patients de comprendre que le médicament n’est pas un objet de consommation comme les autres. C’est mal les connaître, car ils n’ont pas attendu cette affaire pour s’inquiéter des effets secondaires, et a fortiori indésirables, des médicaments.

Néanmoins, l’irruption sur la scène publique de ces scandales a exacerbé leurs craintes, et ils sont nombreux aujourd’hui à s’en préoccuper ou à s’en alarmer. Ils ont d’ailleurs modifié leurs comportements. La journée d’étude, « Risques médicamenteux et subjectivités », organisée le 10 mars 2017 au Cermes3 (Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société) dans le cadre du programme « La personne en médecine » de l’université Sorbonne Paris Cité, a analysé précisément ces changements en se fondant sur des observations et travaux menés par des anthropologues, sociologues et historiens. L’occasion de se demander, aussi, si les patients peuvent jouer un rôle plus actif dans la surveillance des effets indésirables des médicaments.

Le recours aux forums de discussion

Les patients, bien plus conscients des risques liés aux médicaments qu’on ne l’imagine, s’enquièrent spontanément de moyens pour s’en prémunir. Ils recourent notamment à Internet, où ils naviguent entre sites professionnels médicaux et forums de discussion, pour recueillir conseils, recommandations ou témoignages.

Les avis glanés sur les forums de discussion sont souvent décriés par le corps médical car jugés peu fiables. En vérité, ils sont d’une qualité égale à ceux que les patients recueillent auprès de leur entourage familial, amical, ou professionnel. Les individus ont de tout temps été insérés dans des réseaux de relations sociales à l’intérieur desquels ils ont cherché des conseils. Ils ont ainsi toujours tenté de trouver confirmation de l’efficacité et de l’innocuité des médicaments qu’ils prenaient ou qu’ils envisageaient de prendre. Il n’y a donc pas de rupture qualitative avec la période d’avant Internet.

En revanche, c’est bien à une rupture quantitative qu’on assiste puisqu’avec les forums de discussion, les internautes accèdent facilement et rapidement à des dizaines, voire des centaines de témoignages.

Des patients aptes à discuter avec leur médecin

La consultation de sites médicaux, elle, offre une rupture plus fondamentale, en ce qu’elle met à disposition des usagers un savoir expert. Cet accès participe à la démocratisation du savoir médical, rendant les usagers plus aptes à discuter de leurs traitements avec leur médecin.

Les sites santé bénéficient de la possibilité d’être certifiés par la Haute Autorité de Santé et de porter le logo « HON code » (pour health on the net), ce qui n’est pas le cas des forums de discussion. Pour autant, cela ne signifie pas que le recours aux forums soit nécessairement délétère. Certains internautes, dans leur dialogue avec d’autres, fournissent des conseils tout à fait avisés. Les témoignages que les uns publient sur ces forums sont de nature à attirer l’attention des autres sur les contre-indications ou les effets indésirables de certains médicaments.

La conscience que les usagers ont des risques associés aux médicaments les conduit à prendre, à leur façon, les médicaments qu’ils choisissent dans le cadre de l’automédication, un phénomène d’ampleur croissante.

Des prescriptions qui se négocient

La vigilance des patients quant aux risques médicamenteux les conduit également à tenter de négocier avec leurs médecins les prescriptions que ceux-ci leur délivrent. Ils ont en effet leurs propres représentations et leur propre expérience des médicaments. Ils associent ainsi certains risques à des familles pharmaceutiques entières comme les corticoïdes, les antibiotiques, les anti-inflammatoires ou les antalgiques. Ils craignent par exemple de subir une intoxication, des dommages à l’estomac ou de développer une dépendance.

La conscience des risques incite en outre les patients à demander conseil au pharmacien pour obtenir des médicaments « moins forts », disent-ils, ou « moins agressifs ». Ces notions sont souvent associées aux médicaments dits « chimiques », c’est-à-dire synthétisés en laboratoire, par contraste avec d’autres remèdes perçus comme « naturels » et envisagés – à tort – comme dénués de risque. Les pharmaciens, qui ont l’obligation de respecter la prescription du médecin, peuvent accéder à cette demande seulement s’il s’agit d’automédication ou d’un complément à une prescription. En réponse à la demande de médicaments « plus doux » ou « sans risque » formulée par les usagers, ils leur proposent parfois des granules homéopathiques, même si beaucoup considèrent que ces traitements s’apparentent à des placebos.

La « mauvaise observance » du traitement

Cette conscience des risques conduit aussi des usagers à ne pas prendre les médicaments prescrits d’une manière conforme à l’ordonnance. Nombreux sont les patients qui interrompent leur traitement, diminuent les doses ou modifient les modalités de prise en réduisant leur nombre, leur durée, leur rythme. Leur objectif étant précisément de limiter les risques qu’ils associent, à tort ou à raison, aux médicaments, ou à la relation qu’ils se figurent entre leur corps et un médicament donné.

Ces pratiques de substitution, réduction ou abandon des traitements, sont volontiers qualifiées par les médecins de « mauvaise observance ». Elles sont pourtant, aux yeux de nombreux patients, des stratégies légitimes de gestion des risques. Suivant ce mécanisme, ils recourent à toutes sortes de tests et de mesures, comme rapporté dans notre article publié en 2016 dans la revue de sciences sociales Terrains & travaux, éditée par l’École normale supérieure de Paris-Saclay.

Par exemple, certains n’achètent qu’une boîte du médicament prescrit pour « l’expérimenter » avant de décider de poursuivre, ou non, le traitement. D’autres effectuent un tri sur l’ordonnance pour ne prendre que les médicaments qui leur semblent essentiels. D’autres encore définissent des seuils au-dessous desquels ils s’abstiennent, comme cette patiente qui ne prend des antibiotiques que si elle a plus de 38,5° de température. Toutes ces pratiques sont élaborées dans le secret du domicile, et rarement révélées aux médecins.

Le souci que manifestent aujourd’hui, de manière croissante, les autorités sanitaires nationales telles que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ou internationales comme l’Organisation mondiale de la santé à l’égard de la pharmacovigilance, les a conduit à préconiser que tous les maillons de la chaîne du médicament y prennent part. La loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé rend ainsi possible, en France, le signalement par tous les acteurs d’un effet indésirable suspecté d’être dû à un médicament.

Si les professionnels ont l’obligation de déclarer tout effet indésirable grave ou inattendu, les patients sont, quant à eux, simplement incités à le faire. Cet encouragement s’exprime à travers la mention indiquée sur les notices glissées dans les boîtes : « Si vous remarquez des effets indésirables non mentionnés dans cette notice, veuillez en informer votre médecin ou votre pharmacien ». Il se manifeste aussi à travers l’ouverture par la ministre de la Santé, le 13 mars, d’un nouveau portail de signalement d’un événement sanitaire indésirable. Son utilisation, qui reste à tester, est annoncée comme plus facile que le formulaire mis en ligne par l’ANSM ou les Centres régionaux de pharmacovigilance qui lui sont rattachés.

La parole des patients

Le Collectif inter-associatif sur la santé (CISS), représentant des usagers, note en effet que remplir ce formulaire se révèle une démarche compliquée. Dans une brochure intitulée « Le médicament, des idées reçues à la réalité », il écrit :

« En pratique, lors de la déclaration d’un effet indésirable médicamenteux par un patient, la collaboration avec un professionnel de santé est souhaitable. En tant que nouveau symptôme, il nécessite l’avis d’un soignant ou d’un pharmacien pour être explicité puis pour être déclaré, par le professionnel ou le patient. »

Au-delà des difficultés pratiques d’une telle déclaration, quelle crédibilité est accordée à la parole du malade sur ce sujet sensible ? Comment réagissent les médecins auxquels les malades confient leur expérience d’effets indésirables avec un médicament, dès lors qu’ils n’en ont pas eu d’écho de la part du fabricant ? J’ai exploré cette question dans une communication intitulée « Un diagnostic déviant ? Les médecins face au travail de diagnostic réalisé par un patient » (« A deviant diagnosis ? Doctors faced with a patient’s diagnostic work ») à la conférence d’anthropologie médicale organisée en 2016 en Norvège par le réseau international MAAH. Il apparaît que la parole des patients est peu audible dans un contexte où c’est avant tout l’industrie pharmaceutique qui délivre aux médecins « l’information » sur les médicaments et en fait la promotion, comme le rappelle un manuel de la Haute autorité de santé à leur intention, Comprendre la promotion pharmaceutique et y répondre.

L’effet indésirable constaté ou suspecté par un patient est-il vraiment considéré comme pertinent dans une démarche globale de pharmacovigilance telle que développée actuellement en France ? Le patient pèse-t-il réellement dans la volonté générale de découvrir, dépister ou identifier les risques médicamenteux ? À ce stade, les résultats des observations de terrain menées dans le cadre de notre enquête sur « La perception et la gestion profane du risque médicamenteux en France », financée par l’ANSM, permettent d’en douter.

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Sylvie Fainzang, Anthropologue, directrice de recherche Inserm, TEPSIS

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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